la forteresse

Publié le par Anna Stern

"je... je..." .pause. "non merci, c'est gentil, non non, non... merci... mERci... non c'est vraiment gentil" .pause. "je ne sais pas comment te le dire c'est tout, non merci c'est gentil je n'ai pas soif" .pause. "oui, tout se passe bien ici, oui et toi ? non pas d'eau tu es bien gentil... non non je t'assure" .pause. "j'ai voyagé, oui oui, je suis allée au super marché, haha c'est une blague -tu aimes ? non merci, ca ira" .pause. "ok ok respire, voix plus douce, ton plus allégé...mhm... je... " .pause. corps au sol. yeux dans le vide.

-"Lola il faut que tu viennes, ils t'attendent. C'est quoi cette robe elle te va bien, elle te rend humaine."

-je ne peux pas y aller Franck.

-tu es si drôle par moment."

Il y a en face de moi un miroir, en face de Lola, j'ai pensé aux miroirs, pour éviter les voix qui se répercutaient de part et d'autre, mais penser à une quelconque reflection/réflexion ne me menait nul part. le sol comme seul coussin ; je me laisse tomber, je roule, j'attend les larmes, j'attend un signe, je roule, je regarde mes cheveux, mes doigts qui touchent mes cheveux, je pense à moi, je pense à eux, je pense à mes hommes qui aimaient mes cheveux, je pense à mes hommes qui aimaient mes doigts. la froideur du sol oblige un retour à la réalité, un retour au miroir. Il y a mon visage, ovale, il y a mon nez, normal peut être normal sup mais ca ne change rien, il y a mes yeux encadrés par des sourcils. Je touche ces courbes qui sont censées m'appartenir et me représenter, pourtant je ne les reconnais pas, je rechute au sol. mes poumons se contractent et je sens mes yeux rougir, pourtant ils sont toujours secs. je me rassois sur le siège. rien dans la tête, rien de nul part, un vide s'installe, je relève la tête, affrontant mon regard, difficilement.

-"tu te sens prête?

-qu'est-ce que tu fais là ?"

Il est encore plus beau que d'habitude, il porte son costume, noir de jay, il a les cheveux en brosse, j'affronte son regard, agréablement. je suis heureuse qu'il soit là, pourtant mes aisselles commencent à suer, il y a des frissons en moi étranges, j'essaie de ravaler ma salive rien n'y fait, je chante des chansons dans ma tête pour me rassurer mais toujours rien, des pensées me tourmentent, un désir étrange m'empli, mais je ne lui montre pas : douce symphonie orgasmique de l'orgueil.

-"j'avais envie de te voir.

-donc tu viens dans ma loge, tu te moques de qui ?

-je venais simplement voir comment va notre artiste avant de la voir performer, rien de plus, tu es jolie dans cette robe.

-pourrais tu partir s'il te plait, je ne pense pas que ce soit très approprié en vue des circonstances." .pause. repousser la personne qu'on a le plus aimé.

-"mais de quelles circonstances me parles-tu ?

-de... de...

-de quand tu me suçais sur ton canapé, ouais c'est ça circonstances ?

-ouais exactement maintenant tu bouges

-pourquoi le passé Lola, je viens comme un gars de 2019 te voir, en 2019, on est plus en 2003 ma grande, et ça se ressent même : regarde nous. enfin, regarde nous, nous sommes toujours beaux finalement

-le...

-je n'attend pas de réponse de ta part Lola. je te souhaite une bonne performance."

mon cœur tremble, mes mains sont humides, je me sens m'écraser sous le poids de son baiser sur mon front, et je le regarde partir, comme je l'ai tant vu faire. une marque se fraie le long du masque de maquillage que j'ai sur le visage, la poudre s'imbibe du liquide lacrymal qui emplit mes yeux. je sais qu'il le fait pour moi, pour le rôle. je me revois, cette nuit là, déambuler dans les rues de Bordeaux, après son départ, la ville paraissait si vide, les gens paraissaient si vide, et ma tête l'était encore plus. j'avais toujours trouvé chez lui la perfection, une perfection fonctionnalisée de toute évidence. lui la trouvait chez d'autres femmes, l'une lui ayant brisé le cœur, il m'avait repris par repli comme réconfort. je me revois marcher sans repère, les dents serrées avec comme seule envie de laisser mes genoux et mes coudes embrasser les pavés. je repense à ce moment en m'oubliant, dans le miroir, mes yeux croisent mes faux yeux, je me sens laide, j'ai l'air triste et fatiguée. je ne veux pas chanter ce soir. je prends un pinceau et applique un fard rosé sur mes joues. je me lève. je suffoque. je veux pleurer. il n'est pas là, il ne mérite pas mes larmes, il ne mérite pas ma pensée. je pense à mon fiancé, à son sourire, à ses câlins rassurants et ses grands yeux immensément bons, je pense à ses mots. je me sens bercée, les émotions redescendent. En sursis avec ma propre vie, je me lève timidement, prend en compte l'idée de me masturber, mais le bout de mes doigt saigne, je me suis coupée avec mon rasoir, et puis je n'en ai pas envie. je prend mes escarpins et mes couilles en main. je traverse le batiment qui sent la poudre, la laque et autres produits d'amatrices. en coulisse je salue les gens, ils me sourirent tous, je les regarde du haut de mes pilotis qui me font atteindre les 1m95.

"Et maintenant notre chère Lola Golcia, qui va nous interpreter un chant...."

j'ai à ce moment envie, d'enlever les faux cils, le fond de teint, la perruque, la robe, la fausse poitrine, de crier et retourner le voir, mais je dois chanter et me dandiner; après tout je suis la meilleure drag queen que vous ayez vus.

la forteresse
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